Colloque 2012 Le Compte Rendu

L’AFPLI remercie tout particulièrement Mesdames BELIN et ROUSSEAU, enseignantes au sein du C.A.S.N.A.V.) (Centre Académique pour la Scolarisation des Nouveaux Arrivants et des Voyageurs). Elles sont rédactrices du compte rendu du colloque « Migration et histoires personnellles ». Nous vous invitons à en prendre connaissance et à le diffuser largement.

COLLOQUE PALAIS DUCAL « MIGRATION ET HISTOIRE PERSONNELLE » 20/03/2012

L’introduction est faite par les membres de l’AFPLI (Mme POITOU et M. BRUN).

Présentation des 2 intervenantes :

· Ivy DAURE, Docteur en psychologie (Toulouse / Bordeaux), auteure de « Familles entre deux cultures » (Fabert)

· Elise PESTRE, psychoclinicienne à l’université de Paris Diderot et chargée de recherche, auteure de « La vie

psychique des réfugiés » (Payot)

1)   EXPOSE d’Ivy DAURE :

 
Migration : famille et transmission

Les migrations peuvent être individuelles mais sont souvent familiales, avec une mission explicite qui n’est jamais complètement réglée ; elles marquent donc souvent les familles sur plusieurs générations.

 
MIGRATION : un mouvement en 3 étapes (Grinberg, 1986)

· la préparation au départ : au moins 2 générations sont au courant, c’est important pour la compréhension

· le voyage : lourd en tonalité émotionnelle

· l’arrivée en terre d’accueil : la 1ère image qu’ils ont eue de cette terre d’accueil est souvent TRES marquante

et correspond pour eux à un signe annonciateur de leur avenir.

 
MIGRATION et cycle de vie : aucune migration n’est pareille…

 · motivations de la migration : loisir / économique : pas les mêmes possibilités psychiques / relationnelles vis à-vis du pays d’accueil ; différence entre « je décide d’aller étudier dans un autre pays, je suis migrant » et « je pars pour faire vivre ma famille » ; l’idée de retour est toujours évoquée mais grosse différence entre

« je peux retourner dans mon pays quand je veux » et « je n’y reviendrai probablement pas ».

Le migrant ne cessera jamais d’être migrant, quelque chose le lui rappellera toujours.

Cette migration marquera plusieurs générations.

· âge de la migration : l’enfant est quelquefois en dehors du projet de migration ; l’adolescent peut se sentir isolé par rapport au reste de la famille

· voyage seul ou en famille ? seul sans personne, pas attendu, il y a l’angoisse. Avec ou sans famille, le voyage est vécu différemment. Il y a un « avant » le voyage et un « après ».

· devenir parent en exil : quoi transmettre ? « qu’est-ce que je veux que mon enfant sache de mon pays, de ma culture ? ». Le couple va se positionner quant à la langue, à la nationalité… Comment faire en sorte que mon enfant continue la lignée ?

· structure du couple : quel rôle par rapport au pays d’accueil ? pour les couples mixtes, quel espace pour la culture d’origine de l’autre ?

 
MIGRER représente :

· une perte de repères (langue, entourage, parfums, lieux, codes, culture…)

· l’incontestable liberté de pouvoir devenir quelqu’un d’autre : ne pas être soumis au regard social de son pays, de son entourage, permission de se raconter autrement (sans parler de mensonge)

· un processus d’adaptation, une confrontation avec la différence : insécurité, étrangeté : s’adapter à la logique sociale du pays

· un bouleversement identitaire

· une négociation entre loyautés et dettes (« je dois apprendre, je dois donner ») ; comment intégrer des choses qui n’appartiennent pas à ma culture d’origine sans perdre mon identité ?

 
ETRE EN EXIL ET FONCTIONNEMENT FAMILIAL :

· rapport sujet-groupe

· différences entre modèles pays d’origine et d’accueil

· perte d’expertise professionnelle (cas d’une femme instit dans son pays, femme de ménage à tout jamais en France…)

· niveaux d’échanges entre l’intérieur et l’extérieur de la famille

· rôle attribué aux enfants : entre l’enfant né au pays et l’enfant né en France il y aura différence d’éducation donc de rôle, d’où des clans

· place des parents : on s’appuie sur le modèle familial mais aussi sur le modèle des autres parents qu’on côtoie pour définir des règles. Le migrant n’a pas ces repères. Comment fait-il ?

 
TRANSMISSION ENTRE PARENTS ET ENFANTS :

· volontaire ou involontaire : si elle est volontaire c’est parce que j’ai une image positive « ce que j’ai à transmettre est bien, je lui transmets ceci pour qu’il puisse s’intégrer ». Quelquefois on choisit de ne pas transmettre (non-dit, émotion, la souffrance transpire malgré soi…)

· enjeux majeurs dans la migration

· place de la famille d’origine : rôle de passeur ; l’enfant qui retourne dans le pays reconnaît, identifie ses origines, c’est plus facile pour lui ; plus d’ancrage si on ne parle plus de la famille restée là-bas.

· place du groupe de compatriotes

· appartenance familiale

 ENSUITE

· renforcement du rôle de parents

· affirmation de la DOUBLE appartenance comme ATOUT

· le poids des représentations culturelles (regard social)

· la possibilité de s’exprimer en langue maternelle

 
CULTURE PREMIERE/CULTURE SECONDE = articulation INDISPENSABLE

· on ne peut pas faire table rase de l’histoire, du passé, de soi…

· faire récit de l’histoire de la migration pour pouvoir s’ancrer

 En conclusion il faut apprendre une nouvelle langue sans oublier sa langue d’origine.

Il faut pouvoir utiliser les deux bagages culturels au quotidien.

Il faut une reconnaissance et une valorisation de la culture première par la société d’accueil.

La migration est l’affaire de plusieurs générations, d’un pays d’origine et d’un pays d’accueil.

2)   EXPOSE d’Elise PESTRE :

L’EXIL : EMERGENCE D’UNE « CLINIQUE DE L’ASILE » PSYCHOPATHOLOGIE DES REFUGIES

 Introduction : importance au niveau mondial de la problématique des migrants exilés : 250 Millions actuellement ; pronostic : 500 Millions d’ici 20 ans. Réfugiés économiques, politiques, mais aussi climatiques, thérapeutiques.

 
En France, importantes vagues d’immigration depuis le 19e siècle. Mais actuellement, l’étranger vient de plus loin et est identifié comme radicalement autre, ce n’est plus le voisin européen. Autre culture, autre langue = attrait, fascination, mais aussi peur, rejet, racisme. « L’étranger vient déranger ».

 
Quelques idées préalables :

 · ne pas considérer l’exil comme un fait traumatique en soi

· pour certains sujets, la migration va opérer comme le détonateur ou l’amplificateur d’un mal-être, révéler une névrose sous-jacente (cas des psychoses puerpérales) qui ne serait pas directement liée à la migration

· la question de l’exil ne se pose pas seulement en termes de pays étranger et lointain(le même arrachement peut être vécu par une personne non étrangère (campagne/ville)

· le fait que des personnes aient désiré ou non migrer peut provoquer des effets psychiques délétères(le désir de migration ne suffit pas à s’intégrer)

· l’histoire du déplacement peut raviver les failles subjectives

· les militants, les engagés politiques sont mieux préparés à l’exil

 
Emergence d’une « clinique de l’asile » :

 Il y a une universalité de l’exil, car il existe partout un socle commun, avec des règles communes (interdiction de tuer, de l’inceste…).

 Il existe des psychopathologies spécifiques aux réfugiés.

 Premiers troubles identifiés :

· la « sinistrose » des Auvergnats montés travaillés à Paris au début du 20e siècle, qui induisait des problèmes de santé conduisant par exemple à l’impossibilité de guérir après un accident du travail

· la politique assimilationniste très forte des Maghrébins après la guerre a eu les mêmes conséquences au niveau de la santé, avec effet boomerang sur les générations suivantes de cette rupture brutale avec la culture d’origine (celles-ci se sentant en position d’avoir une dette à rembourser)

 
Actuellement 80% des demandes d’asile sont rejetées en France. Que vont générer ces refus ?

Les politiques gouvernementales, qui mènent aujourd’hui un véritable combat contre l’immigration dite « clandestine », tentent de définir si la demande d’asile est légitime ou non (si le demandeur est un « vrai » ou un « faux » réfugié).

 
Chez un migrant en quête de refuge, quelles conséquences psychiques de la politique du soupçon ?

 
L’Etat présuppose que la majorité des demandeurs d’asile mentent pour obtenir la qualité de réfugiés. Il exige donc très rapidement des preuves, des témoignages. Qu’implique le fait de se remémorer dans l’urgence une série d’événements traumatiques ? Donner des preuves, fournir un récit de ses persécutions interfère avec ne pas se blesser soi-même (réactivation des faits), et ne pas blesser les autres (ce que j’ai à dire est trop horrible, je ne peux en imposer le récit) : c’est pourquoi certaines personnes évitent précisément de se dire. Fournir un récit pour l’OFPRA est un vécu traumatique reprenant quelquefois l’histoire d’un autre. Le refus renforce la psychopathologie

(« pourquoi ne me croit-on pas ? »)

Le délai très court pour délivrer ce récit fait qu’il n’y a pas le temps indispensable de l’élaboration ; or dans le cas de traumatisme aigu, la mémoire est éclatée.

 
Quel rôle le corps peut-il être amené à jouer ? Le « corps témoin »donnera plus de chance d’être reconnu. Il doit donc attester des persécutions vécues, par des marques qui se voient et qui restent ! Mais que reste-t-il de visible après une errance de plusieurs semaines/mois ? Phénomènes de somatisation, développement de maladies : c’est le corps qui exprime et non les mots.

 
Le rejet de la demande d’asile va renforcer une psychopathologie déjà existante ; l’état d’insécurité psychique se poursuit : névroses traumatiques, hallucinations, fausses connaissances (on croit reconnaître un ancien tortionnaire dans la rue), imprégnation du vécu.

 
Au niveau des professionnels ou bénévoles qui accueillent : sentiment d’impuissance, d’être obligés de répondre dans l’urgence, subjectivité de celui qui écoute ce qui touche à la cruauté humaine. Il ne s’agit pas de faire de l’anthropologie, de tout connaître de la culture de l’autre, lequel est avant tout en quête d’humain. Nécessité d’une structure, d’un lieu qui permette de prendre un peu de distance avec ses pratiques (« soupape de sécurité »).